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Page:Maurice Leblanc (extrait L’homme à la peau de bique), 1999.djvu/7

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L’automobile en effet — une limousine — gisait, retournée, démolie, tordue, informe. Près d’elle, le cadavre de la femme. Mais ce qu’il y avait de plus affreux, spectacle ignoble et stupéfiant, c’est que la tête de cette femme était écrasée, aplatie, invisible, sous un bloc de pierre énorme, posé là on ne pouvait savoir par quelle force prodigieuse.

Quant à l’homme à la peau de bique, on ne le trouva point. On ne le trouva point sur le lieu de l’accident. On ne le trouva point non plus aux environs. En outre, des ouvriers qui descendaient la côte de Morgues déclarèrent qu’ils n’avaient rencontré personne.

Donc, l’homme s’était sauvé par les bois. Ces bois, que l’on appelle forêt à cause de la beauté et de la vieillesse des arbres, sont de dimensions restreintes. La gendarmerie aussitôt prévenue fit, avec l’aide de paysans, une battue minutieuse. On ne découvrit rien. De même les magistrats instructeurs ne tirèrent, de l’enquête approfondie qu’ils poursuivirent pendant plusieurs jours, aucun indice susceptible de leur donner la moindre lumière sur ce drame inexplicable. Au contraire, les investigations aboutissaient à d’autres énigmes et à d’autres invraisemblances.

Ainsi, on constata que le bloc de pierre provenait d’un éboulement distant d’au moins quarante mètres. Or, l’assassin, en quelques minutes, l’avait apporté et jeté sur la tête de sa victime.

D’autre part, cet assassin, qui, en toute certitude, n’était pas caché dans la forêt — sans quoi on l’aurait inévitablement découvert — cet assassin, huit jours après le crime, eut l’audace de revenir au tournant de la côte et d’y laisser sa peau de bique. Pourquoi ? Dans quel but ? Sauf un tire-bouchon et une serviette, cette fourrure ne contenait aucun objet. Alors ? On s’adressa au fabricant de l’automobile, qui reconnut cette limousine pour l’avoir vendue trois ans auparavant à un Russe, lequel Russe, affirma le fabricant, l’avait vendue aussitôt. À qui ? Elle ne portait pas de numéro matricule.

De même, il fut impossible d’identifier le cadavre de la morte. Ses vêtements, son linge n’offraient aucune marque.

Quant à son visage, on l’ignorait.

Cependant des émissaires de la Sûreté remontaient en sens inverse la route nationale suivie par les acteurs de ce drame mystérieux. Mais qui prouvait que, dans le courant de la nuit précédente, l’automobile eût justement suivi cette route ?