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ANTHINEA

Mais, le fait de vivre à Athènes m’avait rendu aussi injuste pour les sculpteurs d’Egine que je l’avais été pour les potiers et les forgerons mycéniens.

On a trouvé en 1886 dans les substructions de l’Acropole quatorze statues d’un beau marbre, brillant et colorié. Elles furent placées debout dans une salle du musée supérieur. J’avais coutume de franchir presque en courant la salle des quatorze prêtresses de Minerve. Leurs yeux bridés, comme dans les visages mongoliques, leurs narines, leur front bizarre, enfin cet étrange sourire, nommé éginétique sans doute parce que les statuaires d’Egine furent les premiers à l’effacer de leurs œuvres[1], ce sourire uniforme et indéfini, sur des joues reluisantes comme l’ivoire me causaient une espèce de chagrin qui me faisait fuir. N’écrivis-je dix fois le brouillon d’une lettre à l’éphore général des antiquités sur le tort que faisaient selon moi à tant de chefs-d’œuvre les idoles d’une Athènes encore impolie !

  1. On a voulu voir bien des choses dans le sourire éginétique. Voici ce que j’ai lu de plus satisfaisant sur l’art des Eginètes : « Un contraste constant et très frappant résulte de l’imbécillité des têtes et de la beauté des corps. Les membres, quoiqu’un peu maigres et anguleux, sont d’un grand style et d’un beau caractère ; les têtes, traitées de façon toute archaïque, sont uniformément revêtues d’un sourire idiot… » Sans dire de quel lieu ces justes paroles sont prises, surtout sans en nommer l’auteur, elles me semblent bien répondre aux imaginations… — Note de 1912.