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Page:Maurras - L’Avenir de l’Intelligence.djvu/301

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la théorie est pratiquée

surhumaines en travail. Et, sur l’essence, sur le quantum de ces forces, résultante de tous les siècles de l’histoire, on ne pouvait rien. Mais on pouvait prévoir que leur rencontre déterminerait une crise. Laquelle ? À quel moment ? Au profit de qui ? Contre qui ? Là revenait l’incertitude. Là donc l’effort humain pourrait s’exercer avec foi. Un effort très simple, appliqué à la juste place où des énergies presque égales se contrarieraient, pourrait développer des conséquences infinies. Napoléon régnant, les armées impériales couvrant l’Europe, un homme obscur conversait avec sa maîtresse. Il venait de la rallier à la cause qu’il croyait juste. Elle venait de répéter : « Vive le Roi ! »

M. de Boisgelin, enchanté de ce cri, avait l’air rayonnant. Je lui ris au nez, en songeant au temps qu’il lui avait fallu pour acquérir à son parti une seule personne, pauvre femme isolée, ayant rompu les liens qui l’attachaient à l’ancienne bonne compagnie, n’en ayant jamais voulu former d’autres, et étant restée seule au monde ou à peu près.

— Vous avez fait là, lui dis-je, une belle conquête de parti. C’est comme si vous aviez passé une saison à attaquer par ruses et enfin pris d’assaut un château-fort, abandonné au milieu d’un désert.

— Je ne suis point de cet avis, me répondit M. de Boisgelin, ce fort-là nous sera utile ; j’en nomme M. de Talleyrand commandant, et je suis bien trompé, si, l’ennemi commun succombant par sa propre folie, le pays ne peut se sauver par la sagesse de M. de Talleyrand.

Mlle de Coigny connaissait Talleyrand !

Ce petit détail est de ceux qui intervertissent les