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grandeur et décadence

pauvre peuple de Pologne, lui ait demandé de rédiger à son usage une « constitution », cela en dit plus long que tout. Charles-Quint ramassa, dit-on, le pinceau de Titien ; mais, quand Titien peignait, il ne faisait que son métier, auquel il excellait. Quand Rousseau écrivait, il usurpait les attributs du prince, ceux du prêtre et ceux même du peuple entier, puisqu’il n’était même point le sujet du roi, ni membre d’aucun grand État militaire faisant quelque figure dans l’Europe d’alors. L’élite politique et mondaine, une élite morale, fit mieux que ramasser la plume de Jean-Jacques ; elle baisa la trace de sa honte et de ses folies ; elle en imita tous les coups. Le bon plaisir de cet homme ne connut de frontières que du côté des gens de lettres, ses confrères et ses rivaux.

La royauté de Voltaire, celle du monde de l’Encyclopédie, ajoutées à cette popularité de Jean-Jacques, établirent très fortement, pour une trentaine ou une quarantaine d’années, la dictature générale de l’Écrit. L’Écrit régna non comme vertueux, ni comme juste, mais précisément comme écrit. Il se fit nommer la Raison. Par gageure, cette raison n’était d’accord ni avec les lois physiques de la réalité, ni avec les lois logiques de la pensée : contradictoire et irréelle dans tous ses termes, elle déraisonnait et dénaturait les problèmes les mieux posés. Nous aurons à y revenir : constatons que l’absurde victoire de l’Écrit fut complète. Lorsque l’autorité royale disparut, elle ne céda point, comme on le dit, à la souveraineté du peuple : le successeur des Bourbons, c’est l’homme de lettres.