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l’avenir de l’intelligence

ressembler à eux-mêmes, c’est-à-dire de se distinguer par les caractères d’une excentricité qui leur fût personnelle. L’intervalle devait s’accroître entre le public moyen, bien élevé, lettré, et les écrivains que lui accordait le siècle. Ils commencèrent presque tous par être non pas méconnus, mais déclarés bizarres et incompréhensibles. En tout cas, peu de sympathie. Le talent pouvait intéresser les professionnels et le très petit nombre des connaisseurs ; ceux-ci, sensibles aux défauts, n’ont jamais témoigné beaucoup d’enthousiasme, et les professionnels ne composent pas un public, trop occupés de leur œuvre propre pour donner grand temps aux plaisirs d’admiration ou de critique désintéressée. Cette « littérature artiste » isola donc les maîtres de l’intelligence.

Mais, quand ils ne s’isolaient point, ils faisaient pis, ils s’insurgeaient. La communication qu’ils établissaient entre leur pensée et celle du monde se prononçait contre les forces dont ce monde était soutenu. Le succès des romans de Mme  Sand, des pamphlets de Lamennais, des histoires de Lamartine et de Michelet, des deux principaux romans de Victor Hugo, des Châtiments du même, leur retentissement dans la conscience publique est un fait évident ; mais c’est un autre fait que ces livres s’accompagnèrent de révolutions politiques ou sociales, dont ils semblaient tantôt la justification et tantôt la cause directe. Au total, dans la même mesure où elles étaient populaires, nos Lettres se manifestaient destructives des puissances de fait.