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Essais de sociologie

souvent jusqu’à la mort de l’individu dépaysé. Il est très fréquent dans les troupes indigènes et mériterait observation.

L’intensité de la circulation, le nombre des grands rassemblements sociaux, leur facilité et leur efficacité, sont d’excellentes mesures de toute cette cohésion.

En poursuivant, on peut indiquer un certain nombre de phénomènes qui, non seulement permettent de caractériser et de décrire une société, mais permettent même de la classer parmi d’autres. On a déjà pu les rencontrer dans des descriptions morphologiques ou dans une description du droit, mais il est utile de les répéter ici.

On peut distinguer les sociétés suivant leur densité relative et leur organisation serrée ou large. Par exemple, celles des grandes îles polynésiennes sont souvent très denses, très organisées, très hiérarchisées, aboutissant même à l’établissement des dynasties royales.

Par opposition, il y a des sociétés à densité faible, à essaimage facile, et à organisation par conséquent lâche. Par exemple les Peuhls, même quand ils fournissent les dynasties royales, restent pasteurs ; et par exemple encore les Mpongwe (vulgo : Pahouins) du Gabon se sont clairsemés dans la forêt, malgré leurs masses, etc.

Il reste entendu que la relation entre ces deux phénomènes n’est pas nécessaire. D’abord un grand nombre de sociétés vivent sous un double régime saisonnier : ce que nous avons proposé d’appeler la double morphologie, ayant pour suite un double régime politique. Un grand nombre de sociétés noires sont dans ce cas : alternativement, dispersées aux champs (plus exactement aux jardins éloignés) et concentrées dans les villages et les villes. Ensuite, même des populations à densité faible, comme celles du Loango et du Congo, étaient cependant à organisation fort serrée : roi, cour, féodalité, etc.

Enfin, il faut observer un grand nombre de faits de discontinuité dans ces cohésions. Un trait général d’un très grand nombre de sociétés archaïques de nos colonies (et aussi d’un grand nombre de nos sociétés modernes), c’est leur relative perméabilité.

Elles peuvent être traversées par des raids : comme ceux de ces tribus sioux qui, dès l’arrivée du cheval monté en particulier, en Amérique, savaient pousser jusqu’au Mexique ; comme ceux