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Fragment d’un plan de sociologie descriptive
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La différence entre l’autorité proprement dite et l’autorité acceptée, ou l’accord spontané, peut être et donc doit être dosée. Ainsi le roi David dansait devant l’arche, suivi de Juda, de la famille d’Aaron, des Lévites, et même de tout Israël. De même la danse du chef est souvent le début de la danse du peuple. Où commence le solo ? Où finit le refrain ? Ce qu’il faut, c’est ouvrir les yeux, écouter. Comment l’un et l’autre sont-ils possibles. Comment arrive-t-on au rang supérieur ? Comment s’établissent les prestiges : les mana (le mot signifiant à la fois force magico-religieuse et autorité, même là où, comme en Nouvelle-Zélande, il désigne plutôt l’autorité et la gloire) ? Quelle est la part des guerres, des danses, des extases, des prophéties, de la richesse, de la force ? Tout ceci peut être établi souvent historiquement. On trouvera probablement, dans une très grande majorité de cas, que la force physique du chef, et même celle de ses hommes à tout faire (ex. : areoi de Tahiti, etc.), celle de sa grande famille et de ses alliés, son rang dans la société des hommes ne jouent pas plus de rôle que ses alliances de sang et de mariage, que ses potlatch, ses danses, ses extases et ses révélations d’esprits. On dirait que la force est attachée à son prestige encore plus que le prestige ne s’est attaché à sa force.

Il ne faut pas, d’ailleurs, négliger un fait considérable : Notre idée — européenne — qu’il ne peut y avoir dans notre société qu’un seul régime politique, une seule organisation du pouvoir, n’est applicable qu’à nos sociétés, et encore plus à leurs théories qu’à leurs pratiques ; elle est complètement fausse dans toutes les sociétés qui nous entourent, dans nos colonies. Même le pouvoir despotique si absolu des rois chez les Noirs, est équilibré par son véritable contraire. On trouve des règles claires de la responsabilité du roi[1]. La puissance permanente du peuple, et au moins la toute-puissance de la foule, la présence des clans aux assemblées, même encore en face des sultans, du Bornou par exemple, prouvent la force de la masse.

Cette répartition de l’autorité, cette coexistence de types opposés de discipline, peut être constatée même à l’intérieur des groupes encore moyens, comme ceux de la grande famille

  1. Guinée, région du Nil, royaumes bantou ; voir dans Atlas africanus de Frobenius, la bonne carte des institutions de la mise à mort du roi.