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Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/42

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Essais de sociologie

et l’ethnographie qui, toutes deux, sont considérées comme formant des sciences à part, alors qu’elles ne font qu’étudier, suivant leurs procédés respectifs, les phénomènes les plus divers, ressortissant en réalité à des parties différentes de la sociologie. La statistique, nous l’avons vu, n’est qu’une méthode pour observer des phénomènes variés de la vie sociale moderne. Phénomènes démographiques, phénomènes moraux, phénomènes économiques, la statistique, aujourd’hui, étudie tout indifféremment. Selon nous, il ne doit pas y avoir de statisticiens, mais des sociologues qui, pour étudier les phénomènes moraux, économiques, pour étudier les groupes, font de la statistique morale, économique, démographique, etc. Il en est de même pour l’ethnographie. Celle-ci a pour seule raison d’être de se consacrer à l’étude des phénomènes qui se passent dans les nations dites sauvages. Elle étudie indifféremment les phénomènes moraux, juridiques, religieux, les techniques, les arts, etc. La sociologie, au contraire, ne distingue naturellement pas entre les institutions des peuplades « sauvages » et celles des nations « barbares » ou « civilisées ». Elle fait entrer dans ses définitions les faits les plus élémentaires et les faits les plus évolués. Et, par exemple, dans une étude de la famille ou de la peine, elle s’obligera à considérer aussi bien les faits « ethnographiques » que les faits « historiques », qui sont tous au même titre des faits sociaux et qui ne diffèrent que par la façon dont on les observe.

Par contre, la sociologie adopte et fait siennes les grandes divisions, déjà aperçues par les diverses sciences comparées des institutions dont elle prétend être l’héritière : sciences du droit, des religions, économie politique, etc. De ce point de vue, elle se divise assez aisément en sociologies spéciales. Mais en adoptant cette répartition, elle ne suit pas servilement les classifications usuelles qui sont pour la plupart d’origine empirique ou pratique, comme par exemple celles de la science du droit. Surtout elle n’établit pas entre les faits de ces cloisons étanches qui existent d’ordinaire entre les diverses sciences spéciales. Le sociologue qui étudie les faits juridiques et moraux doit, souvent, pour les comprendre, se rattacher aux phénomènes religieux. Celui qui étudie la propriété doit considérer ce phénomène sous son double aspect juridique et économique, alors que ces deux côtés d’un même fait sont d’ordinaire étudiés par des savants différents.