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Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/54

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Essais de sociologie

ou sciences sociales ne sont, de ce point de vue, que des parties de la physiologie sociale. Celle-ci peut être assez aisément répartie sous divers titres : religions, mœurs, économie, arts, beaux-arts et jeux, langage. Mais la sociologie est là pour empêcher d’oublier aucune des connexions. Car l’explication n’est complète que quand on a décrit, par-dessus les connexions physiologiques, les connexions matérielles et morphologiques.

Autrement dit, il ne faut jamais séparer les diverses parties de la sociologie, ni plus spécialement de la physiologie sociale, les unes des autres. Les phénomènes sociaux ont entre eux les rapports les plus hétéroclites. Coutumes et idées poussent en tous sens leurs racines. L’erreur est de négliger ces anastomoses sans nombre et profondes. Le principal but de nos études est précisément de donner le sentiment de ces liens les plus divers de cause et d’effet, de fins, de directions idéales et de forces matérielles (y compris le sol et les choses) qui, en s’entrecroisant, forment le tissu réel, vivant et idéal en même temps, d’une société. Voilà comment une étude concrète de sociologie, tout comme une étude historique, dépasse toujours normalement les sphères même étroitement fixées d’une spécialité. L’historien des religions, du droit et de l’économie, doit souvent sortir des limites qu’il se trace. Et cependant cet élargissement enrichit les études les plus étroitement limitées. Ainsi encore on comprendra chaque institution une à une, en la rapportant au tout ; au contraire chacune isolée dans sa catégorie mène à un mystère si on la considère à part. Le moraliste trouvera toujours que nous n’avons pas « fondé » la morale ; le théologien que nous n’avons pas épuisé la « réalité », « l’expérience » religieuses ; l’économiste restera pantois devant les « lois » qu’il croit avoir découvertes et qui ne sont en réalité que des normes actuelles d’action. Au contraire, le problème change si on prend toutes ces parties ensemble, si on va alternativement du tout aux parties et des parties au tout. Il est permis alors, honnêtement et loyalement, de faire espérer qu’un jour, une science, même incomplète, de l’homme (une anthropologie biologique, psychologique, sociologique) fera comprendre, par toutes les conditions où l’homme a vécu, toutes les diverses formes ou au moins les plus importantes de celles qu’ont revêtues sa vie, son action, sa sentimentalité et son idéation.