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Fragment d’un plan de sociologie descriptive
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gique des autres parties du langage. La langue est d’ailleurs évidemment plus soudée aux autres phénomènes humains que ne le sont les autres phénomènes sociaux, même totaux.

Et cependant, quelle tentation ! La part de la société et de son histoire dans le langage s’étend à tout, comme causes, comme premier moteur, même à ce qui semble en être le plus loin, la phonétique par exemple, à ces usures insensibles, ses lois, ses modes, etc. Mais inversement, si le phénomène linguistique est essentiellement social et, comme social, est généralement étendu à toute la société, il ne faut pas oublier sa spécialité. Ces « traits » singuliers pour chaque langue et famille de langues, ces limites géographiques, ces arêtes et ces filiations historiques s’étendent bien à tous les individus et à tous les moments d’une société, prennent place dans les processus les plus spéciaux de la vie sociale, droit et religion par exemple ; toute la langue d’un peuple, dis-je, est en réalité l’instrument général de tout ce qui est représentation et volition collectives, même cela ne suffit pas pour définir le phénomène linguistique dans toute son étendue. La langue est avant tout un fait de tradition ; à certains points de vue, elle est la tradition même. M. Meillet le faisait remarquer à propos du Sinanthropus, cet « homme de Pékin » dont on a retrouvé les restes, et qui, morphologiquement, se classe sûrement avant homo neanderthalensis. Il est vraisemblable que cet homme ayant des instruments, et sachant faire le feu, avait un langage. — Seulement, quelle que soit la place que nous voyons à la sociologie dans l’intérieur de la linguistique, et quelle que soit la place où nous voyons la linguistique dans la sociologie, surtout dans une sociologie générale mieux faite ; quelque effort que nous fassions ici pour indiquer le rôle que le langage joue : moyens de communication, moyens de cimenter, moyens d’exciter entre eux les membres d’une société, n’allons pas trop loin. Ne nous obligeons pas à séparer les différentes parties de la linguistique dont la linguistique sociologique n’est que l’une. Et laissons la linguistique et la linguistique sociologique elle-même, momentanément indépendantes d’une sociologie générale.

Abandonnons donc la division de la sociologie générale en morphologie et physiologie sociales. Elle a servi à bien spécifier la lacune que l’on va trouver dans notre exposé et elle nous a obligé sur trois points à des rappels concernant la structure matérielle et démographique de la société, le langage, et ce qui