Sur l’épaule de Sylvain, le sac s’allégeait. Sylvain, de tête, fit son calcul : il était parti avec sept kilos. Il en avait vendu un peu plus de quatre. Il payait son tabac vingt-cinq francs le kilo. Il le revendait de trente-cinq à quarante, suivant les têtes. Depuis ce midi, il avait gagné, comptait-il, à peu près cinquante-cinq francs. Et ça n’était pas difficile. Les gens trouvent encore leur bénéfice à payer dix francs une demi-livre de tabac belge de bonne qualité, quand le tabac français le moins cher revient à plus de quinze francs.
Toute une chaîne d’intermédiaires vit ainsi de la fraude, depuis le maître-fraudeur jusqu’aux revendeurs en détail. On paie le tabac belge seize francs, ce qui revient à onze francs en monnaie française. Le maître-fraudeur donne six francs de « portage » aux hommes qu’il embauche pour l’apporter en France. Et il le revend vingt-cinq francs. Le revendeur, comme Sylvain, prend lui aussi un bénéfice d’une dizaine de francs. Et ses clients, des cafetiers en général, revendent encore le plus souvent le tabac à des amateurs, en prélevant sur la marchandise une quatrième dîme.
— C’est assez pour aujourd’hui, pensa Sylvain. Je peux rentrer.