Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
161
les pirates de la mer rouge

« Dieu soit loué ! lui dis-je, voilà mes mains libres. J’espère que tu n’as pas étranglé cet homme ?

— Pas encore, mais il le mérite.

— N’importe, laisse-le vivre ; nous allons l’enfermer dans ma cabine.

— Il soufflera par le nez et nous trahira.

— Non, sois tranquille ! »

J’enveloppai la tête du Bédouin dans son long turban, ne lui laissant qu’un petit espace pour respirer ; puis je lui liai fortement les pieds et les mains avec sa ceinture. Nous le transportâmes dans le réduit que je quittais, et dont nous fermâmes exactement l’entrée. Après quoi nous nous cachâmes un instant sous l’escalier pour délibérer.

« Comment as-tu fait ? demandai-je au brave Halef.

— Oh ! cela n’était pas difficile, Sidi ! Je me suis faufilé sur le pont, pour voir et entendre ce qui se passait. J’ai su qu’Abou Seïf était parti avec douze de ses hommes, emportant beaucoup d’argent pour le grand chérif.

« Je pensais bien que l’Arabe gardait ta porte, car il te hait ; il t’aurait tué depuis longtemps si le Père du Sabre l’eût permis. Quand l’heure d’aller vers toi m’a semblé venue, j’ai rampé jusqu’à ta cabine ; j’y arrivais à peine, que l’Arabe descendait pour faire sa garde. Je me suis élancé, et lui ai serré la gorge ; tu sais le reste.

— Merci, Halef ! merci… ; mais que font-ils là-haut ?

— Tout va bien, Sidi. Ils profitent de l’absence du capitaine pour absorber leur afiyon (opium). Ils ne sont point à craindre.

— Prends les armes du brigand, elles sont meilleures que les tiennes. Marchons avec l’aide de Dieu ! »

Nous montâmes sur le pont. Je songeais à la moralité du présent d’Abou Seïf. Le grand chérif de la Mecque ne dédaignait donc point de l’argent volé, et l’argent volé sur son tribut !

Aussitôt monté, une odeur particulière me saisit, cette odeur nauséabonde qu’exhalent les buveurs d’opium.

Tous les hommes de l’équipage étaient ivres, d’une ivresse beaucoup plus lourde que celle du vin. Ils demeuraient étendus à la place où ils venaient de consommer leur opium, sans le moindre mouvement ; on n’eût pu dire s’ils dormaient, ou s’ils savouraient le poison qui semblait paralyser tous leurs membres.

Les Pirates de la mer Rouge.
11