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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/118

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sur les bords du nil


point à nous atteindre ; le passage était si étroit, que les bords des deux embarcations se touchèrent presque. Abrahim Mamour, debout, la main cachée derrière le dos, nous regardait avec défi. Soudain, par un geste prompt comme l’éclair, il épaula un long fusil arabe et visa. La balle, mal chassée, me manqua, et le sandal, toujours entraîné, nous eut bientôt dépassés. Nous n’eûmes pas le temps de faire beaucoup de réflexions sur cette tentative, les brisants et les écueils reparaissaient : le fleuve était plus redoutable qu’Abrahim.

Tout à coup nous entendîmes un grand cri ; le sandal donnait contre une roche. La barque tournoyait ; on eût dit que les rameurs allaient être jetés par-dessus le bord. Mais voici un homme qui chancelle et tombe dans les flots ; il se raccroche aux roches glissantes, il lutte avec la mort. Nous arrivons près de lui. Je saisis une corde et la jette au malheureux ; le sandal filait bien loin. Nous tirâmes de toutes nos forces… C’était Abrahim.

À peine fut-il ramené sur le pont de notre navire, que, secouant ses habits ruisselants d’eau, il voulut se précipiter sur moi, les poings fermés, les yeux flamboyants de rage.

« Chien, brigand, trompeur ! » criait-il. Je l’attendis de pied ferme, et, le maintenant à distance, je lui dis sans trop m’émouvoir :

« Abrahim Mamour, sois poli, car tu n’es pas chez toi. Si tu m’insultes, je te fais lier au mât et fouetter jusqu’au sang. Qui m’en empêchera ? »

La plus honteuse de toutes les peines pour un Arabe est celle du fouet ; la plus grande de toutes les injures est de l’en menacer, Abrahim sentit qu’il fallait se contraindre ; il dit seulement avec une sombre rage :

« Tu as ma femme à bord.

— Non.

— Ne mens pas.

— La femme que tu réclames n’est pas la tienne. C’est la fiancée de ce jeune homme ; tu n’as aucun droit sur elle. »

L’Égyptien voulait se précipiter dans la cabine, lorsque Halef intervint vaillamment et se plaça devant la porte.

« Abrahim Mamour, dit-il, je suis hadj Halef Omar, ben hadj Aboul Abbas ; voici mes pistolets. Je fais feu si tu essayes de pénétrer là où mon maître te le défend. »