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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/143

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les pirates de la mer rouge

— Le vrai croyant ne craint rien. Sa vie et sa mort sont écrites dans le livre d’Allah. »

Le fakir s’assit ou plutôt s’accroupit, tira une poignée de dattes de sa poche, et se mit à manger lentement. J’étais curieux d’entendre sa conversation avec le pilote ; je m’appuyai contre le bord du vaisseau, à quelque distance des deux hommes, affectant de regarder les vagues ou l’horizon ; d’ailleurs, ils devaient supposer que je ne comprenais pas leur langue ; ils continuèrent donc tranquillement :

« Tu dis que celui-là est un Nemsi ? Est-il riche ?

— Non.

— Comment le sais-tu ?

— Il a beaucoup marchandé pour le prix du passage, mais il possède un bouyouroultou du Grand Seigneur.

— Ce doit être un homme important. A-t-il beaucoup de bagages ?

— Presque point, mais il à des armes.

— Je n’avais jamais vu de Nemsi ; j’ai entendu dire que ce sont des gens très pacifiques. Il porte des armes ? Il ne s’en sert point, sans doute ? »

Mes deux interlocuteurs se turent ; après quelques minutes, le fakir reprit, en se levant :

« J’ai terminé mon repas, je pars ; tu remercieras ton maître, qui a permis à un pauvre fakir de se reposer sur son vaisseau. »

Puis notre pèlerin sauta lestement dans sa périssoire, saisit les rames et s’éloigna, toujours à genoux, ramant en cadence et chantant : « Ya Allah ! Allah ! hou ! »

Cet homme m’avait singulièrement impressionné. Pourquoi était-il venu sur le sambouk au lieu de descendre à terre ? Pourquoi demandait-il si j’étais riche ? Pourquoi examinait-il d’un regard si perçant tout ce qui se trouvait autour de lui, pendant qu’il mâchait ses dattes ? Je ne sais quel sentiment de défiance me prenait à son endroit ; j’aurais juré que cet étrange personnage n’était point un derviche.

Lorsqu’il se fut un peu éloigné, je pris ma lunette d’approche ; quoique dans ces contrées le crépuscule soit fort brusque, il m’éclairait encore assez pour que je pusse distinguer la plupart des détails.

Mon fakir n’était plus à genoux ; son vœu ne l’engageait sans