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UNE AVENTURE EN TUNISIE

des mets exquis que leur servent de jeunes garçons plus beaux que le jour et des houris incomparablement belles. Leur oreille se délecte sans cesse au chant de l’ange Israfil, et l’harmonie des zéphirs, qui traversent les arbres où pendent mille clochettes d’argent, les jette dans un ravissement perpétuel. Le vent du paradis vient du trône de Dieu ; il chante éternellement. Les élus ont une stature de soixante pieds de haut ; tous atteignent l’âge de trente ans, mais ne le dépassent jamais. Au-dessus de tous les arbres célestes est le Toubah, l’arbre du bonheur, dont la tige s’élève au milieu du palais de Mahomet et dont les branches couvrent la demeure des élus, en leur offrant tout ce qui peut flatter leurs désirs. Des racines du Toubah sort le grand fleuve qui arrose le paradis ; ses vagues sont de lait, de vin, de café et de miel liquide ! »

Malgré le sensualisme dont cette description est empreinte, je remarquais combien Mahomet avait emprunté aux données chrétiennes, accommodant adroitement ces grandes idées avec les grossiers instincts des nomades qu’il cherchait à civiliser, dans une certaine mesure.

Halef me regardait d’un air radieux, attendant l’effet de son discours. Comme je ne répondais pas assez vite à son gré, il me demanda :

« Eh bien, que dis-tu ?

— Je t’avoue, en toute franchise, que je n’ai nullement envie de grandir jusqu’à soixante pieds ; d’ailleurs, la troupe des houris ne me tente pas le moins du monde, car je déteste les femmes !

— Et pourquoi ? murmura Halef très surpris.

— Le Prophète n’a-t-il pas dit ; « La voix de la femme ressemble au chant du bulbul (rossignol), mais sa langue est plus empoisonnée que celle de la vipère ? N’as-tu pas lu cela ?

— Je l’ai lu. »

Tout confus de se voir réfuté par les paroles mêmes du Prophète et ne sachant comment se tirer d’embarras, Halef se tut quelques instants, puis il reprit :

« N’as-tu que cette objection contre le paradis ? Eh bien ! tu ne regarderas pas les houris,

— Halef, tu as beau faire, je reste chrétien.

— Quelle obstination ! Serait-ce difficile de dire : La Ila illa Allah oua Mohammed Rasoul Allah ?