à la Meçque, je dois répandre des aumônes, acheter des présents, payer le aziz-koumadji[1] et j’ai…
— Sois tranquille, je te rendrai ton argent aujourd’hui même.
— Ta monnaie ne peut me servir, car elle vient des pays infidèles.
— J’irai chez un changeur et je te payerai en piastres.
— Oh ! merci, Sidi ! Crois-tu que j’aie assez d’argent pour aller aussi à Médine ?
— Je le pense, si tu ne te montres pas trop prodigue ; d’ailleurs ce voyage ne te coûtera rien, nous le ferons ensemble.
— Tu prendrais la route de Médine ?
— Il n’est pas défendu de la suivre, je pense ?
— Non, mais tu ne peux entrer dans la ville.
— Et si je t’attendais à Djambô ?
— Parfait, Sidi, Allah te bénisse ! Mais où iras-tu après ?
— À Medaïn Saliha.
— Seigneur, tu veux mourir ? C’est la ville des esprits, ils ne souffrent aucun mortel dans ses murs.
— Ils me souffriront pourtant. C’est une cité mystérieuse, dont on raconte des choses très singulières ; je veux la voir.
— Tu ne la verras pas : les esprits mettront des obstacles sur notre chemin. Mais à ce coup je ne t’abandonne point ; je veux mourir avec toi. Alors je serai un véritable hadji, le ciel s’ouvrira devant moi. Et après, si nous en sortons, où veux-tu aller ?
— Au Sinaï, à Jérusalem, à Constantinople, ou bien à Bassorra et à Bagdad.
— Et tu m’emmèneras ?
— Oui. »
Nous étions arrivés près de la porte de la ville. En dehors s’éparpillaient quelques misérables huttes construites en paille et en feuilles de palmier, où s’abritent les pauvres hadhesi[2], les bûcherons, les jardiniers. Un malheureux, tout déguenillé, s’avança vers nous.
« Vas-tu bien, Effendi ? ta santé est-elle bonne ? » me cria-t-il.
Je ne bougeai point : en Orient, on se donne le temps de répondre aux saluts ; il fallut pourtant s’y décider lorsqu’il eut répété ses questions.