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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/185

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les pirates de la mer rouge

« Es-tu l’ami ou le serviteur de cet Effendi ? continua la questionneuse.

— Son serviteur et son ami.

— Sidi, reprit la femme, viens, suis-moi.

— Où ?

— Es-tu bavard, ou aurais-tu peur d’une femme ?

— Non ; allons, en avant ! »

Elle fit tourner bride à son chameau, qui reprit le chemin déjà parcouru, marchant sur sa propre trace ; je mis ma bête au pas de la sienne, mes deux compagnons suivaient ; je me tournai vers Albani pour lui crier :

« Eh bien ! quand je vous promis une aventure ? »

Albani répondit par un couplet approprié à la circonstance. Notre nouvelle connaissance n’était plus jeune : le soleil de l’Arabie, les fatigues, la souffrance avaient noirci son visage et creusé sa peau de rides profondes ; mais elle n’avait certainement pas dû être laide : il lui restait encore une remarquable perfection de traits. Que faisait-elle dans cette plaine déserte ? Pourquoi avait-elle rebroussé chemin pour nous emmener avec elle ?

« Véritable énigme ! » murmurait l’Autrichien.

Notre amazone était armée d’un fusil ; elle avait un yatagan passé à la ceinture, et tenait à la main cette espèce de lance dont les Arabes se servent en voyage comme une arme défensive des plus redoutables. Elle paraissait brave et déterminée ; nous étions évidemment en présence d’un de ces types de femme guerrière, moins rare en Orient qu’on pourrait le croire.

« Quelle langue parle-t-il ? me demanda l’Arabe en entendant chanter Albani.

— L’allemand.

— Les Allemands sont braves.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Le plus brave de tous les hommes fut le Sultan el Kébir, et cependant les Nemche-chmaler, les Nemche-memleketler[1] et les Moskovlar l’ont vaincu ! Pourquoi me regardes-tu avec des yeux si perçants ? »

Ainsi, me disais-je, cette femme a entendu parler de Napoléon et des grandes guerres qui ont fait crouler son empire. Ce ne

  1. Les Allemands du Nord et ceux de l’empire du Sud (Autrichiens). Chmal, nord ; memlekel, empire.