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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/205

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les pirates de la mer rouge


solennellement présentée. Dès qu’elle parut, Halef se leva pour offrir son cadeau. Impossible de décrire la scène qui suivit. Le médaillon servant de prison au diable était une merveille qui surpassait l’intelligence de tous les assistants ; mes efforts pour leur expliquer le mécanisme de la petite figure furent vains. Ils déclarèrent que le Cheïtan était bien vivant sous ce verre, et me prirent pour le plus grand sorcier qui eût jamais existé. La pauvre Hanneh se vit privée de son cadeau, tout le monde convenant qu’une telle merveille, un objet si extraordinaire, ne pouvait être remis qu’entre les mains du cheikh. Mais je dus auparavant jurer, avec toute la solennité convenable, que le Cheïtan ne parviendrait jamais à s’échapper, et qu’ainsi enfermé il ne ferait aucun mal.

Il était près de minuit quand je me retirai dans ma tente ; Halef m’y accompagna.

« Sidi, me dit-il, est-ce qu’il faudra faire tout ce que tu as écrit sur le papier ?

— Mais oui, tu l’as promis. »

Il se tut un instant, puis me demanda encore, en hésitant un peu :

« Si tu avais une femme, voudrais-tu l’abandonner ?

— Non.

— Et cependant tu dis que je dois tenir ma promesse ?

— Certainement ; mais, si j’avais une femme, je n’aurais pas promis, en la prenant, de la rendre.

— Sidi, pourquoi ne m’as-tu point averti avant de me laisser promettre ?

— Es-tu un petit garçon, pour que je m’érige en tuteur dans ces sortes de choses ? Et d’ailleurs un chrétien peut-il conseiller un musulman, quand il s’agit de tels contrats ? Le fin mot de tout cela, c’est que tu voudrais garder Hanneh.

— Tu l’as deviné, Sidi.

— Alors tu m’abandonnes ?

— Toi, Sidi ! oh !… »

Le pauvre Halef restait tout interdit : il ne pouvait prononcer un seul mot ; des soupirs et je ne sais quels murmures inintelligibles furent toute sa réponse. On sentait qu’un violent combat se livrait, dans cette âme naïve, entre son inclination naissante pour la jeune fille et son attachement très sincère pour son maître. Je le laissai à ses réflexions et ne tardai point à m’endormir.