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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/257

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une bataille au désert

Les esclaves placèrent devant le chef un large vase plein d’eau, où baignaient trois flacons : deux de ces bouteilles étaient remplies d’araki ; la troisième contenait une eau de senteur avec laquelle le cheikh devait nous asperger à la fin de chaque service.

On apporta ensuite du beurre liquide, contenu dans une immense soucoupe. Les Arabes nomment ce mets zamou ; ils le servent à la fois comme entrée et comme dessert ; ils l’aiment beaucoup. Des corbeilles de dattes furent entassées sur la nappe ; elles contenaient les dattes exquises nommées el chelebi, qui se conservent et s’aplatissent dans des caisses, comme chez nous les figues ou certains pruneaux. Ces dattes ont environ deux pouces de long et renferment très peu de pépins ; leur odeur et leur goût sont également agréables. J’aperçus aussi ces fameuses adjoua, qu’on ne trouve jamais dans le commerce ; car les mahométans les regardent comme sacrées, leur prophète en ayant parlé ainsi : « Celui qui rompt le jeûne chaque jour avec cinq ou six adjoua ne craindra ni le poison ni les enchantements. »

Enfin nous pûmes comparer les hiloua, les douces djouseiriye, etc, etc., toutes les espèces de dattes réputées les plus précieuses. Les convives d’un rang moins élevé se contentaient de dattes ordinaires séchées sur l’arbre. Je remarquai encore les cravates de Syrie, dattes cueillies toutes vertes et passées dans l’eau bouillante, ce qui leur fait prendre une teinte jaunâtre ; on les enfile à un cordon, puis on les fait sécher au soleil. On servit de plus un grand vase rempli de kounafa, sorte de pâte sucrée ; après quoi notre hôte, levant les mains en l’air, donna le signal du repas.

Tous les plats et toutes les corbeilles restaient, autant que possible, à sa portée ; il en vida le contenu en y plongeant les mains et nous présenta, à moi d’abord, puis à l’Anglais, les meilleurs morceaux, les portant complaisamment à notre bouche. Je l’aurais bien volontiers dispensé de cette politesse ; mais il fallait se conformer aux usages, si on ne voulait s’attirer mille désagréments. Master Lindsay, à demi suffoqué, ne pouvait avaler ; il tenait sa bouche en carré, tout prêt à retirer la poignée de pâtée que le cheikh venait de lui entonner. Je remarquai cette grimace et lui criai en anglais :

« Mangez, sir ! ou vous allez offenser mortellement ces Arabes ! »