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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/351

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une bataille au désert


avec beaucoup de débats et de cris. Le petit Halef se donnait au milieu de tout cela un mouvement incroyable ; il était monté sur mon coursier noir. Je le voyais, allant, venant, tranchant les difficultés, ordonnant, apaisant les conflits ; il semblait se multiplier pour assurer le bon ordre. Il n’était pas fâché de parader un peu sur mon beau cheval et de passer pour un chef influent.

Les Haddedîn mettaient beaucoup d’entrain et d’ardeur à leur besogne ; mais les prisonniers qui les accompagnaient maîtrisaient avec peine leur rage et leur fureur. Quant aux vieillards et aux femmes de la tribu, ils fondaient en larmes ; quelques-uns laissaient échapper les plus foudroyantes malédictions, murmurées à voix basse, ou se traduisant par des gestes difficilement contenus. Je m’approchai d’un des groupes de femmes : j’avais remarqué l’expression singulière du visage de l’une d’elles ; au lieu de pleurer et de se lamenter comme les autres, elle semblait suivre des yeux, avec une joie muette, les opérations de nos gens. Avait-elle au cœur quelque haine contre le cheikh ? n’appartenait-elle pas à la tribu ?

« Suis-moi ! lui dis-je.

— Seigneur, sois-moi miséricordieux ! Je n’ai rien fait pour te déplaire, murmura cette femme tout effrayée.

— Ne crains rien, viens avec moi. »

Je la conduisis dans une tente vide ; me plaçant devant elle, je la regardai fixement et lui demandai :

« Tu as un ennemi dans la tribu, n’est-ce pas ? »

La Bédouine parut très étonnée ; elle répondit :

« Seigneur, comment sais-tu cela ?

— Parle franchement : quel est cet ennemi ?

— Tu ne me trahiras point ?

— Non, car cet ennemi est aussi le mien.

— Es-tu celui qui l’a vaincu ?

— Oui ! Tu hais le cheikh Zédar ben Houli ; avoue-le ! »

Les yeux noirs de la Bédouine lancèrent des éclairs ; elle dit, du plus profond de son cœur :

« C’est vrai, je le hais.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il a fait tuer le père de mes enfants.

— Et pour quel motif ?