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une aventure en tunisie


dit ; qu’on laisse passer son ivresse, puis qu’on l’interroge ! »

C’en était trop ; je m’élançai sur l’Arménien et le jetai à terre ; il se releva et tira son couteau en murmurant :

« Chien d’infidèle, tu attaques un croyant, tu vas mourir ! »

J’avais eu le temps de me mettre en garde ; je l’envoyai d’un coup de poing rouler à quelques pas.

« Empoignez le giaour ! » criait le petit Turc.

Je m’attendais à être garrotté ; il n’en fut rien ; le caporal se plaça gravement devant le front de sa troupe et commanda :

« Déposez les armes ! »

Les soldats placèrent leurs fusils à terre, puis l’exercice continua de la façon la plus grotesque ; enfin je fus entouré ; tous ces doigts bruns me saisirent par mon burnous, me tirant et poussant alternativement, sans rien perdre de leur sérieux oriental. On eût dit de véritables marionnettes.

Pendant ce temps, le Père de la Victoire se relevait, de plus en plus furibond ; les yeux injectés de sang, les lèvres frémissantes, il cria au vékil :

« Fais-le fusiller !

— Oui, certes ; mais il faut d’abord l’entendre, car je suis un juge équitable. Voyons, porte ta plainte ; ensuite il répondra.

« Ce giaour traversait le chott avec un guide, commença l’Arménien ; il nous rencontra, se jeta sur mon compagnon et fut cause de sa mort, car le malheureux périt misérablement sous le sel…

— Pourquoi ce giaour a-t-il fait cela ?

— Il venait de tuer un homme dans les sables de l’ouad Tarfaoui ; nous l’avions surpris, il voulait échapper à notre poursuite.

— Es-tu prêt à jurer que cet homme a vraiment commis le meurtre dont tu l’accuses ?

— Je le jure par la barbe du Prophète !

— C’est assez. Que répondras-tu, giaour ?

— Que ton hôte est un menteur et un scélérat ; il me charge de son propre crime !

— Il a juré ; toi, tu es un infidèle : on ne peut croire à ta parole.

— Interroge mon serviteur, il est témoin.