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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/79

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sur les bords du nil


salon avait pour ameublement un large et riche divan courant d’une extrémité à l’autre. Au coin de ce divan se tenait gravement assis Àbrahim Mamour, le propriétaire des mille bourses.

Àbrahim Mamour se leva à mon approche ; mais, suivant l’usage, ne s’avança point vers moi.

Chaussé à l’européenne, je ne pouvais enlever mes bottes ; j’entrai donc résolument,, foulant sous mes talons de cuir le magnifique tapis de l’ex-gouverneur, et je m’assis à ses côtés.

Les serviteurs apportèrent alors l’indispensable café et la pipe non moins indispensable, puis nous pûmes entrer en matière.

Mon premier regard avait été pour la pipe ; tous ceux qui ont visité l’Orient savent que c’est à la richesse de cet objet qu’on peut mesurer celle de son possesseur. Le long tuyau de celle qu’on me présentait était couvert d’ornements en filigranes de vermeil qui valaient au moins mille piastres ; plus précieuse encore me parut son embouchure, toute garnie de pierres précieuses dont les feux m’éblouirent. Certes Abrahim devait posséder beaucoup de bourses dans son trésor ! Etait-ce une raison pour supposer que le propriétaire d’une telle pipe avait passé sa vie à voler ou à pressurer la province confiée à son gouvernement ? Pouvais-je, en conscience, juger l’homme par l’instrument ? Je préférais examiner son visage.

Où avais-je vu déjà ces traits, cette physionomie d’une beauté si régulière, cette finesse de contours vraiment sculpturale et en même temps cette expression diabolique, si peu en harmonie avec cette grande perfection de formes ?

Les yeux de cet homme, étincelants, et presque sans paupières apparentes, se fixèrent d’abord sur les miens comme s’ils cherchaient à pénétrer mon âme ; puis ils se détournèrent froidement et avec une sorte d’inquiétude dissimulée sous une affectation d’indifférence.

Des passions violentes, des instincts dépravés creusaient leurs marques indélébiles sur ce visage.

L’amour, la haine, la cruauté, la rapacité semblaient s’être emparées d’une nature où rien ne pouvait être médiocre. Il y avait dans cet ensemble quelque chose d’indéfinissable, mais quelque chose dont l’avertissement ne pouvait tromper les moins physionomistes.