Page:Maynial - La Vie et l’Œuvre de Maupassant, 1907.djvu/124

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paraissait illimité, et j’avais, pour les exprimer, une telle variété de moyens que l’embarras du choix me rendait hésitant. Or, voilà que, tout à coup, le monde des sujets entrevus s’est dépeuplé, mon investigation est devenue impuissante et stérile. Les gens qui passent n’ont plus de sens pour moi, je ne trouve plus en chaque être humain ce caractère et cette saveur que j’aimais tant discerner et rendre apparents[1].

Nul doute que cette plainte ne renferme un écho de l’étonnement douloureux qu’éprouvait l’auteur lui-même en sentant sa veine se tarir et son observation s’épuiser. Fort comme la mort est de l’année 1889 : l’amère tristesse dont ce roman est imprégné trahit les propres préoccupations de l’artiste, l’ennui de vieillir, la crainte de la solitude, de la mort, les désillusions de l’amour et les défaillances de la gloire. À partir de 1889, à la veille de la crise irrémédiable, la production littéraire de Maupassant n’est ni aussi régulière ni aussi abondante que pendant ses premières années d’activité ; son dernier roman, Notre cœur, se distingue nettement des autres par la sobriété d’invention et la simplicité d’action. Ce n’est plus le temps où l’auteur fécond publiait presque tous les ans un roman nouveau et où son inlassable imagination pouvait fournir en même temps à plusieurs journaux la matière de deux ou trois recueils de nouvelles.

  1. Fort comme la mort (édit. Ollendorff illustrée), p. 114.