Page:Meillet - La méthode comparative en linguistique historique, 1925.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
nécessité de la méthode

culture. Or, les langues romanes ne continuent pas le latin littéraire. La « bouche » se nommait en latin écrit ōs ; mais ce qui a subsisté, c’est le nom vulgaire bucca. Et ainsi dans une foule de cas.

Là même où des textes d’époques diverses fournissent des états de langue successifs, on n’observe pas une continuité. Les changements essentiels auxquels est dû le passage du type latin ancien au type roman ont eu lieu entre le latin écrit et les premiers monuments des langues romanes. Sans doute les gens qui ont écrit le latin du iiie au xe siècle ap. J. C. ont laissé échapper bien des formes qui ne sont pas correctes en latin ancien et qui sont dues à la langue déjà toute différente qu’ils parlaient ; mais on ne peut apprécier la valeur de ces lapsus et y reconnaître des témoignages linguistiques que grâce à la connaissance des langues romanes. Les textes latins écrits depuis l’époque impériale jusqu’à l’époque carolingienne par des gens assez peu lettrés pour laisser échapper des fautes contre l’usage classique apportent des précisions, notamment dans la chronologie des faits, à la grammaire comparée des langues romanes ; mais, si les lumières qu’ils projettent sont précieuses, c’est pour éclairer la comparaison ; la comparaison venant à manquer, elles se perdraient dans le vide. Si les langues romanes étaient mortes avant d’avoir été notées, on apercevrait que le latin classique se corrompait ; mais on ne pourrait faire aucune théorie précise et complète des changements accomplis. Tout l’essentiel des changements linguistiques a lieu hors de notre vue.

L’histoire du perse fournit un exemple plus remarquable encore. On connaît — d’une manière très incomplète, il est vrai — le perse à l’époque de Darius et de