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le phonétisme

ne sont intelligibles que par rapport à une forme indo-européenne commune supposée pour les expliquer.

Ce n’est pas avec des ressemblances de formes qu’on opère quand on compare des langues d’une même famille, mais uniquement avec des règles de correspondances. On a vu ci-dessus, p. 6, que le nom de nombre « deux » de l’arménien, qui est erku, répond à l’ancien *dwō (ou *duwō) de l’indo-européen. Cette correspondance semble au premier abord étrange. Mais il y a une règle générale en vertu de laquelle à dw- de l’indo-européen répond erk- de l’arménien. Car on connaît deux autres exemples de cette correspondance. L’indo-européen a eu une racine *dwei- « craindre » qui est largement représentée en grec homérique par des formes verbales telles que *dedwoa (noté deidō), dedwoike (noté deidoike) « je crains » ou nominales telles que *dweos (noté deos) « crainte » ; l’arménien y répond par erkiwł « crainte », erkeay « j’ai craint ». Il y a eu un adjectif *dwāro- « long », conservé notamment par le grec ; or, l’arménien a un adjectif erkar « long ». La règle est donc fondée sur trois rapprochements évidents. Si l’on pense au nombre restreint des mots indo-européens connus présentant l’initiale *dw-, *duw-, la coexistence de ces trois rapprochements apparaît probante.

La correspondance s’explique du reste. Le groupe de consonne dentale suivie de w aboutit en arménien à une gutturale : tw- est représenté par k‘-, ainsi dans k‘o « de toi », en face de formes telles que twe (d’où attique se) du grec. La sourde k provient de ce que, en arménien comme en germanique, il y a eu une mutation des anciennes occlusives sonores en sourdes : d passe à t, g à k. L’r qui précède est une trace de l’ancien caractère so-