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vocabulaire

caballum donnant cheval, carum donnant cher, etc. ; si donc on a camp en regard de campum, c’est que le mot n’appartient pas à la tradition ancienne du français ; en fait il vient de l’italien, et l’on sait en effet quand et pourquoi il a été « emprunté ». C’est un b- qui en germanique peut répondre à f- du latin ; on a par exemple en latin flōs, flōris et en allemand blume ; dès lors feuer de l’allemand n’a aucun rapport avec feu du français : il suffit d’ailleurs de penser aux correspondants romans de fr. feu, à savoir it. fuoco, esp. fuego, pour que la ressemblance de feu et de feuer s’efface. On ne fait donc des rapprochements qu’avec des formules précises de correspondances — et en prenant soin d’éviter ce qui est dû à des emprunts.

Il est malheureusement difficile de déterminer a priori ce qui a chance d’être indigène et ce qui a chance d’être emprunté. Les verbes et les adjectifs sont plus ordinairement indigènes que les substantifs : des verbes comme vivre et mourir, venir et dormir du français actuel sont encore des verbes indo-européens, et de même des adjectifs comme vif, vieux, neuf, etc. Néanmoins un verbe fort comme all. schreiben est emprunté à lat. scrībere. Inversement beaucoup de substantifs français tels que pied, chien, veuve, etc. sont indo-européens. — Le risque qu’un mot soit emprunté est toujours grand, et l’étymologiste, d’une langue ancienne ou récente, qui raisonne comme si les mots à expliquer avaient a priori toutes chances d’être indigènes s’expose à des erreurs fréquentes.

Là où il s’agit de mots remontant vraiment à la « langue commune », il faut restituer un mot de cette langue défini à tous égards, et ne pas se contenter de rapprocher de petits éléments radicaux. Et, comme les