Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Certes nos jeunesses d’hier n’étaient point mortes et nous n’avions pas tout à fait renoncé aux hasardeuses extravagances dans l’art et dans la vie. Mais nous laissions tout cela à la porte de Leconte de Lisle comme on quitte un habit de carnaval pour revenir dans la maison familiale. Nous étions un peu semblables à ces jeunes peintres de Venise qui, après avoir passé la nuit à chanter en gondole et à caresser les cheveux roux des belles filles, tout à coup prenaient un air réfléchi, presque austère, pour entrer dans l’atelier du Titien.

Aucun de ceux qui ont été admis dans le salon de Leconte de Lisle ne perdra jamais le souvenir de ces nobles et doux soirs qui, pendant tant d’années, oui, pendant beaucoup d’années, furent nos plus belles heures. Avec quelle impatience, chaque semaine accrue, nous attendions le samedi, le précieux samedi où il nous était donné de nous retrouver, unis d’esprit et de cœur, autour de celui qui avait toute notre admiration et toute notre tendresse ! C’était dans le petit salon, au cinquième étage d’une maison neuve, boulevard des Invalides, que nous venions dire nos projets, que nous