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LA DERNIÈRE ÂME


Le ciel était sans dieux, la terre sans autels.
Nul réveil ne suivait les existences brèves.
L’homme ne connaissait, déchu des anciens rêves,
Que la Peur et l’Ennui qui fussent immortels.

Le seul chacal hantait le sépulcre de pierre,
Où, mains jointes, dormit longtemps l’aïeul sculpté ;
Et, le marbre des bras s’étant émietté.
Le tombeau même avait désappris la prière.

Qui donc se souvenait qu’une âme eût dit : Je crois !
L’antique oubli couvrait les divines légendes.
Dans les marchés publics on suspendait les viandes
À des poteaux sanglants faits en forme de croix.

Le vieux soleil errant dans l’espace incolore
Etait las d’éclairer d’insipides destins…
Un homme qui venait de pays très lointains.
Me dit : « Dans ma patrie il est un temple encore.

Antique survivant des siècles révolus,
« Il s’écroule parmi le roc, le lierre et l’herbe,
« Et garde, encor sacré dans sa chute superbe,
« Le souvenir d’un Dieu de qui le nom n’est plus. »