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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/95

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GLORIANE

« C’est le monstre, prends garde ! » Des poltrons ! des niais ! Pourquoi me haïssent-ils, puisque je les aime ? Les épouses pleurent, les fiancées se désolent ; est-ce que cela me regarde, moi ? Ai-je pour mission de sauvegarder le paisible sommeil des lits conjugaux et la chasteté des rendez-vous enfantins ? J’ai une destinée, qui en bouleverse d’autres ; qu’elles se garent, la mienne se précipite. Quand je passe parmi des hommes, leurs yeux chauffés se dilatent, leurs bouches baillent, molles, et leurs cous se gonflent, comme ceux des ramiers qui roucoulent des râles. Eh bien ! sans doute, puisque nulle n’est plus belle que moi ! Il est tout simple que le vent d’orage secoue les roseaux, et que l’incendie allume les granges. J’ai fait du mal, soit ; plusieurs sont morts, désespérés, parce que je leur avais dit : « Je ne veux plus » ; ou, brisés, parce que je leur avais dit : « Je veux encore. » Pourquoi les uns m’aimaient-ils toujours ? pourquoi les autres ne pouvaient-ils plus m’aimer ? Je ne suis responsable ni de l’imbécillité de ceux-ci, ni de la folie de ceux-là. D’ailleurs, qu’ont-ils à regretter, les cadavres qui furent des vivants dans mes bras ? Aujourd’hui, on a enterré don Tello, ce jeune