Aller au contenu

Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
MÉPHISTOPHÉLA

usent leurs émotions à les vouloir raffiner, ou les dispersent en des minuties d’analyse ; il éprouvait en bloc. Amoureux et marié, il ne voyait que cela, il était heureux, tout l’être épanoui, et ses yeux se mouillaient de bonnes larmes. En même temps, quelque crainte aussi. Une demoiselle comme Sophie, bien élevée, timide malgré ses airs de bon garçon, et ne sachant rien de rien, — que Mme Luberti parlât à la mariée, lui expliquât les choses, il ne l’avait pas voulu, il trouvait ça bête, il y a le mari, que diable ! — une demoiselle de dix-sept ans, ça n’a rien de ressemblant, grâce à Dieu, aux coquines des villes de garnison qui, depuis longtemps, ne s’étonnent plus. Il se demandait s’il ne paraîtrait pas grossier à cette candeur, brutal à cette délicatesse. Toucher à une jeune fille, sans lui faire mal, ce ne doit pas être aisé ; c’est encore plus cassant que de la porcelaine fine ou du cristal, la naïveté, la faiblesse d’une vierge ; et lui, il se connaissait : pas un comme lui pour briser les verres ou les assiettes. Mais il userait de tant de précautions ! Il aurait des doigts d’ouate, moins sentis que le frôlement d’un flocon de neige pas froide ; et il prenait, en sa bonté, en son effroi de faire peur, des résolutions d’épargner, d’étreindre comme on berce, de caresser comme on endort,