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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/192

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MÉPHISTOPHÉLA

de baiser. « Non, je veux t’entendre. — Oui, heureuse. » Alors Sophie : « Vois-tu, ta bouche, c’est tout. S’il existe des fleurs dans le ciel, elles ressemblent à ta bouche. Mais non, il n’y a rien dans le paradis qui vaille ton baiser. » Puis, plus bas : « Je ne sais pas si cela te fait la même chose, à toi ? moi, quand tes lèvres s’ouvrent, quand mon envie hume ton souffle, c’est ton cœur que j’aspire, et il vient, et il m’entre dans le corps, et nos vies confondues battent délicieusement en moi seule. » Leurs bouches plus impétueusement se ressaisirent et ne se lâchèrent plus. Presque en même temps, un sursaut de leurs poitrines l’une par l’autre oppressées, les obligea de se disjoindre, sans paroles ni haleines, en la caresse encore de leur étreinte dénouée ; dans la silencieuse chambre aux volets clos, une ombre douce était sur elles.

Et tout le jour, le baiser, paradis enfin trouvé, les enchanta ; le dîner, comme d’ordinaire, fut silencieux, non pas qu’Emmeline craignît d’entendre et que Sophie craignît de parler, mais parce qu’elles fermaient de leurs lèvres leurs lèvres, buvaient dans la rosée de leurs bouches la fraîcheur des fruits et la chaleur du vin : puis elles s’accoudèrent, dans le rose crépuscule, sur le balcon de la maison au bord de l’eau, et elles