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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/31

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MÉPHISTOPHÉLA

ronne l’emplit de la morphine contenue dans le flacon, puis, sa jupe levée au-dessus de la jarretière, elle trouve tout de suite sur sa peau, vers le bas de la cuisse, la place accoutumée, un calus gris et noir, rond, large comme un sou, qui se hausse, à peu près semblable aux arêtes écailleuses d’un cheval ; c’est hideux, sur la pâle soie crème de la chair, parmi les bouffements de batiste et de valenciennes, à côté du ruban rose qui serre le bas noir, la croûte un peu bouffie et sèche de cette espèce de plaie. L’aiguille creuse de la seringue prise entre le pouce et le médius, a pénétré dans la chair, élargissant d’une piqûre le cercle du calus ; et par une pression, légère, adroite, d’un seul ongle, celui de l’index, la liqueur se répand sous le derme, s’insinue, rayonne comme une tiédeur, gagne en une glissante descente la paume des mains, le dessous des pieds, remonte, monte encore, en passant serre le cœur, d’une caresse reconnue, qui signifie : « Tu sais, c’est moi, » s’infiltre jusqu’au cerveau, — les paupières, calmes, ne battent plus, les yeux toujours grand ouverts se sont mouillés d’une lueur liquide, — fait éclore sous le crâne un développement de lumineuses et lentes rêveries où l’esprit enlizé s’ensommeille comme dans le hamac d’une sieste au so-