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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/312

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MÉPHISTOPHÉLA

l’hiver, triste comme elle. Il fallut l’avertir que le convoi tournait déjà le coin de la rue. Elle se hâta, malgré cette lourdeur aux flancs qui la tirait. Elle rejoignit les gens derrière le corbillard, se plaça au premier rang, parmi les chuchotements des voisins, des voisines qui la reconnaissaient, et suivit, le front incliné sous un voile. Elle n’éprouvait aucune douleur à cause de sa mère morte. Peut-être, si elle l’avait vue durant la maladie, si elle l’avait soignée, veillée, tenue entre ses bras à l’heure du dernier râle, aurait-elle éprouvé maintenant quelque trouble, quelque chagrin ; elle aurait eu du moins une lassitude nerveuse qu’elle aurait pu prendre pour de la mélancolie. Mais cette boîte funèbre, qu’elle n’avait pas vu emplir, ne l’émouvait pas ; c’était comme si elle eût accompagné, par politesse, le corps d’une personne du quartier, connue à peine ; seule, une hypocrisie lui conseilla un mouchoir sur les yeux. Et alors, pour la première fois, un effroi d’elle-même la traversa ! Quel être était-elle donc, puisque le plus grand désastre dont on puisse souffrir — la mort d’une mère — la laissait impassible, puisque le plus grand bonheur permis à la femme — le baiser du mari — lui avait été odieux, puisque le plus magnifique emploi de la