Page:Mercœur - Œuvres complètes, I, 1843.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mes yeux n’eurent plus de sommeil [1], j’aurais trop craint qu’en les fermant la mort ne profitât de cet instant pour m’enlever mon trésor… Inutile précaution ! ne les avais-je pas ouverts lorsqu’elle ferma ceux d’Élisa pour jamais !!! Ah ! pourquoi la nature fut-elle si riante et se para-t-elle de sa robe de fleurs [2] pour

  1. Ce n’est que depuis la mort d’Élisa que je m’explique ce qui me causa tant qu’elle vécut une insomnie permanente ; il ne m’était pas possible de me mettre au lit sans me dire : Il ne faut pas que je m’endorme, car qui porterait secours à Élisa si elle se trouvait malade ? Et cette crainte me tenait les yeux constamment ouverts. Je ne me serais jamais pardonné si elle était morte pendant mon sommeil, je me serais dit sans cesse : Si j’avais veillé, Élisa vivrait ! … Ah ! je sens maintenant que cette insomnie que je regardais alors comme un délire de mon imagination n’était que l’effet d’un pressentiment qui m’avertissait que je ne posséderais pas long-temps ma fille et que je devais veiller religieusement sur le précieux et cher dépôt que Dieu ne me confiait que pour un temps. Aussi dès que je sentais mes yeux un peu s’appesantir, je me mettais sur mon séant, et ce n’était pas sans un frémissement horrible que j’étendais la main pour m’assurer si le cœur de ma pauvre enfant témoignait encore de son existence. Cette crainte qui me mettait à la torture m’avait fait contracter l’habitude d’avoir toujours une veilleuse allumée, à moins qu’il ne fît un beau clair de lune qui me laissât apercevoir tous les mouvemens d’Élisa.
  2. Je ne crois pas avoir jamais vu le ciel plus serein et les fleurs plus belles que le jour où Élisa vint au monde. La porte de ma chambre donnait sur un joli parterre ; et, comme il n’y avait qu’un très petit pas de marche pour y des-