Page:Mercœur - Œuvres complètes, I, 1843.djvu/544

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ne pouvoir, trop instruit, hélas ! qu’on vous déteste,
Triompher un instant de cette ardeur funeste !
En rougir, et pourtant s’en laisser dévorer !
Et, se sentant haï, ne pas même ignorer
Que celle à qui l’horreur est tout ce qu’on inspire,
Sait aussi ce que c’est qu’aimer jusqu’au délire !
Qu’elle aime ! et que sans cesse un fantôme jaloux,
Repoussant le bonheur, se place entre elle et vous !
Sentir un cœur de glace auprès d’un cœur de flamme !
Ne pouvoir échanger son âme contre une âme !
Puis, entendre toujours, comme infernal arrêt,
Dans le cœur une voix qui vous crie : On te hait !
Ah ! quand on souffre ainsi, l’on peut être coupable.

ALY.

Eh bien !

BOABDIL.

                  Transport affreux ! Tourment épouvantable !

(Revenant comme d’un songe.)

Que dis-tu ?

ALY.

                        Qu’empêchant un mal qu’on sait prévoir,
Toute vengeance est juste et devient un devoir.

BOABDIL.

Lorsqu’il est seul aimé, j’hésite !… Ah ! qu’il succombe !
Qu’il meure ! mais sans bruit. Dans la nuit de la tombe
Enfermons avec lui cet odieux secret ;
Confident du cercueil, comme lui sois discret,
Mais hâte-toi surtout : songe, dans ta prudence,
Qu’il faut sauver ma gloire et presser ma vengeance ;
Que si j’ai pu braver la crainte d’un remord.
Je… ne me revois plus qu’en m’apprenant sa mort.

(Il sort.)