Page:Mercœur - Œuvres complètes, I, 1843.djvu/668

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et je sens avec vous ce que je ne vois pas
Dans le chemin du monde où vous guidez mes pas.

HASSAN.

Oui, ma fille, j’ai vu ce monde, ce dédale ;
J’en ai payé bien cher la science fatale ;
De ce qu’il m’en coûtait, à la fin consolé,
Pour mieux l’apercevoir, je m’en suis reculé.
Alors j’ai vu qu’un fils peut rougir de sa mère,
Que l’époux s’enrichit d’un présent adultère,
Que l’homme peut changer vingt masques en un jour,
Qu’on vend impunément sa haine et son amour.
Qu’on osait trafiquer du nom de ses ancêtres,
Que l’esclave souvent commandait à ses maîtres,
Et que le courtisan, adroit caméléon.
Tenant prêts dans ses mains l’encens et le poison,
Flattant ou déchirant ce qu’on flatte ou déchire,
Se tait quand on se tait, rit quand on veut sourire,
Et, toujours inconstant comme l’est le destin,
S’en va briser le soir l’idole du matin.
J’ai vu que l’on s’élève à force de bassesse,
Et j’ai vu le poignard dans la main qui caresse.

JANE.

Non !… ce funeste aspect épouvante mon cœur.
Si vous avez dit vrai, mieux vaut cent fois l’erreur.
Ah ! si c’est là du monde une image sincère,
Mon père, la vertu n’est donc plus sur la terre.

HASSAN.

Hélas ! comme la honte, elle se cache au jour.
Heureux qui sait pourtant lui garder son amour.
À ce dieu blasphémé que le sage révère,
Heureux qui peut donner son cœur pour sanctuaire

.