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L’AN DEUX MILLE


CHAPITRE PREMIER.

Paris entre les mains d’un vieil Anglois.



Fâcheux ami, pourquoi m’éveilles-tu ? Ah, quel tort tu viens de me faire ! Tu m’ôtes un songe dont je préférois la douce illusion au jour importun de la vérité. Que mon erreur étoit délicieuse, & que ne puis-je y demeurer plongé le reste de ma vie ! Mais non, me voilà retombé dans le cahos affreux dont je me croyais dégagé. Assieds-toi & m’écoutes, tandis que mon esprit est encore plein des objets qui l’ont frapé.

Je conversai hier fort tard avec ce vieil Anglois dont l’ame est si franche. Tu sais que j’aime l’homme vraiment anglois. On ne trouve nulle part de meilleurs amis ; on ne rencontre chez aucun autre peuple des hommes d’un caractère aussi ferme & aussi généreux. Cet esprit de liberté qui les anime, leur donne un degré de force & de constance bien rare chez les autres peuples.

Votre nation, me disoit-il, est remplie d’abus aussi étranges que multipliés : on ne peut ni les concevoir ni les nombrer, & l’esprit s’y perd. Rien ne me confond surtout, comme ce repos, ce calme apparent qui couve