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Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/18

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L’AN DEUX MILLE

Dieu ! que mon espérance est cruellement deçue ! Sur ce point où tout abonde, je vois des malheureux qui souffrent la faim. Au milieu de tant de loix sages, on commet mille crimes. Parmi tant de réglemens de police, tout est en désordre. Ce ne sont partout qu’entraves, qu’embarras, qu’usages contraires au bien public.

La foule risque à chaque instant d’être écrasée par cette innombrable profusion de voitures, où sont portés tout à leur aise des gens qui valent infiniment moins que ceux qu’ils éclaboussent & qu’ils menacent d’écraser. Je frissonne dès que j’entends les pas précipités d’une paire de chevaux qui avancent à toutes jambes dans une ville peuplée de femmes grosses, de vieillards & d’enfans. En vérité, rien n’est plus insultant à la nature humaine, que cette indifférence cruelle sur les dangers qui renaissent à chaque minute[1].

Vos affaires vous appellent malgré vous dans tel quartier, & il s’en exhale une odeur fétide qui tue. Des milliers d’hommes respirent forcement cet air empoisonné[2].

  1. Premiers habitans de la terre, auriez-vous jamais pensé qu’il existeroit un jour une ville où l’on marcheroit impitoyablement sur les infortunés pietons, à tant par jambes & par bras ?
  2. Les Innocens servent de cimetière à 22 paroisses de Paris. On y enterre des morts depuis mille