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L’ÉCLIPSE DE LUNE

C’est un Solitaire qui parle.


J’habite une petite maison de campagne, qui ne contribue pas peu à mon bonheur. Elle a deux points de vue différens : l’un s’étend sur des plaines fertilisées où germe le grain précieux qui nourrit l’homme ; l’autre plus resserré, présente le dernier asyle de la race humaine, le terme où finit l’orgueil, l’espace étroit où la main de la mort entasse également ses paisibles victimes.

L’aspect de ce cimetiére, loin de me causer cette répugnance, fille d’une terreur vulgaire, fait fermenter dans mon sein de sages & utiles réflexions. Là, je n’entends plus ce tumulte des villes qui étourdit l’ame. Seul avec l’auguste mélancolie je me remplis de grands objets. Je fixe d’un œil immobile & serein cette tombe où l’homme s’endort pour renaître, où il doit remercier la nature et justifier un jour la sagesse éternelle.

L’état pompeux du jour me paroît triste. J’attends le crépuscule du soir, & cette douce obscurité qui, prêtant des charmes au silence des nuits, favorise l’essor de la sublime pensée. Dès que l’oiseau nocturne, poussant un cri lugubre, fend d’un vol pesant l’épaisseur de l’ombre, je saisis ma lyre. Je vous