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Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/20

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L’AN DEUX MILLE

des miracles au milieu desquels vous bâillez. Dans le second on vous fait rire, quand on devroit vous faire pleurer. Le costume est toujours manqué ; & outre vos pitoyables acteurs tragiques que l’on ne se donne pas même la peine de critiquer, vous avez telle confidente dont le nez plat ou gigantesque suffiroit seul pour faire évanouir la plus parfaite illusion. Quant au troisième, ce sont des farceurs qui tantôt secouent le grelot de Momus, & tantôt glapissent de fades ariettes. Je les préfère cependant à vos fades comédiens François, parce qu’ils ont plus de naturel, & par conséquent plus de graces, parce qu’ils servent un peu mieux le public[1] ; mais j’avoue en même tems qu’il faut être excédé de loisir pour s’amuser des frivolités qu’ils débitent.

Ce qui me fait sourire de pitié, c’est que de pareilles gens, auxquels chaque particulier fait en quelque sorte l’aumône, entassent impertinemment leurs juges dans un parterre étroit, où debout & serrés les uns contre les autres, ils souffrent mille tortures, &

  1. Il y a une diférence essentielle entre les comédiens François, & les comédiens Italiens. Les premiers se croient de la meilleure foi du monde des gens de mérite ; & ils sont insolens. Les seconds sont intéressés & ne visent qu’à l’argent. Les uns par amour propre veulent maîtriser le goût du public ; les autres tâchent de s’y conformer par avarice.