Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/201

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par une main presque sauvage, que lorsqu’on l’a environnée d’ornemens étrangers. Dès que les hommes se livrant à leur paresseuse foiblesse s’abandonnent à l’opinion des autres, leurs talens deviennent imitateurs & serviles, ils perdent l’invention & l’originalité. Que de projets vastes & de spéculations sublimes ont été éteints par le souffle de l’opinion ! Le tems n’a voituré jusqu’à nous que les choses légeres & brillantes qui ont eu l’approbation de la multitude, tandis qu’il a englouti les pensées mâles & fortes qui étoient trop simples ou trop élevées pour plaire au vulgaire.

Comme nos jours sont bornés, & qu’ils ne doivent pas être consumés dans une philosophie puérile, nous avons porté un coup décisif aux misérables controverses de l’école. — Qu’avez vous fait ? Achevez, s’il vous plait. — D’un consentement unanime, nous avons rassemblé dans une vaste plaine tous les livres que nous avons jugé ou frivoles ou inutiles ou dangereux ; nous en avons formé une pyramide qui ressembloit en hauteur & en grosseur à une tour énorme : c’étoit assurément une nouvelle tour de Babel. Les journaux couronnoient ce bizarre édifice, & il étoit flanqué de toutes parts de mandemens d’évêques, de remontrances de parlemens, de réquisitoires & d’oraisons funèbres. Il étoit composé de cinq ou six cent mille commentateurs, de huit cent mille