Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/217

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mais pour ses tristes épitres, ses fatigantes & dures allégories, sa Mandragore, ses épigrammes, ouvrage d’un cœur dépravé, on pense bien que de telles ordures avoient subi le feu qu’elles méritoient depuis longtems. Je ne peux nombrer ici toutes les salutaires mutilations qui avoient été faites dans plusieurs livres, d’ailleurs renommés. Je ne vis aucun de ces poëtes frivolistes qui n’avoient flatté que le goût de leur siécle, qui avoient répandu sur les objets les plus sérieux ce vernis trompeur de l’esprit qui abuse la raison[1] : toutes ces saillies d’une imagination légère & emportée, réduites à leur juste valeur, s’étoient évaporées, comme ces étincelles qui ne brillent avec plus de vivacité que pour s’éteindre plutôt. Tous ces romanciers, soit historiques, soit moraux, soit politiques, chez qui les vérités isolées ne s’étoient rencontrées que par hazard, qui n’avoient pas sû les lier ensemble & les fortifier par leur liaison, & ceux qui n’avoient jamais vu un objet sous toutes ses faces & dans tous ses rapports, & ceux enfin qui, égarés par l’esprit de systême, n’avoient vu, n’avoient suivi que leurs propres idées ; tous ces écrivains, dis-je, trom-

  1. Lorsqu’Hercule vit dans le temple de Vénus la statue d’Adonis, son favori, il s’écria : Il n’y a point de divinité en toi ! On peut appliquer ce mot à tant d’ouvrages polis, délicats, ingénieux, efféminés.