Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/367

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fléau de mon siécle, ne donnoit pas des couleurs mensongères à ce qui étoit si simple de sa nature. L’un ne prit pas justement le contrepied de ce que soutenoit l’autre, le tout pour briller & satisfaire un amour propre babillard[1]. Ceux qui parloient avoient des principes, & dans le même quart d’heure ne se démentoient pas vingt fois. L’esprit de cette assemblée ne voltigeoit pas comme l’oi-

    lever, l’affoiblit, l’énerve. On a tout mis en problême. L’esprit, dont on abuse, détruit presque l’évidence des choses. On rencontre des panégyristes des plus énormes abus. On justifie tout. On épouse à son insçu mille idées puériles & étrangères. On dénature son ame par le frottement des opinions diverses. Il y a, je ne sai quel poison qui s’insinue, qui monte à la tête, qui offusque vos idées primitives, qui sont ordinairement les plus saines. L’avare, l’ambitieux, le libertin, ont une logique si ingénieuse, que vous les haïssez quelquefois moins après les avoir entendus : chacun prouve, pour ainsi dire, qu’il n’a pas tort. Il faut vite se renfermer dans la solitude pour reprendre une haine vigoureuse contre le vice. Le monde vous familiarise avec des défauts qu’il préconise ; il vous glisse son esprit illusoire. En fréquentant trop les hommes, on devient moins homme, on reçoit d’eux un jour faux qui égare. C’est en fermant fa porte qu’on se retrouve, qu’on apperçoit le jour pur de la vérité, qui ne luit point parmi la foule & la multitude.

  1. Les arrêts de la paresse sont aussi injustes que ceux de la vanité.