Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/417

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les quinze dernieres années de sa vie, il ne lui restoit plus que quelques idées qu’il représentoit sous cent faces diverses. Il rabachoit perpétuellement la même chose. Il livroit le combat à des gens qu’il auroit dû mépriser en silence. Il a eu le malheur d’écrire des injures plates & grossieres contre J. J. Rousseau, & une fureur jalouse l’égaroit tellement alors qu’il écrivoit sans esprit. Nous avons été obligés de brûler ces misères, qui l’eurent infailliblement deshonoré dans la postérité la plus reculée. Jaloux de sa gloire plus qu’il ne le fut, pour conserver le grand homme nous avons détruit la moitié de lui-même.

Messieurs, je suis charmé, édifié, de trouver ici J. J. Rousseau tout entier. Quel livre que cet Émile ![1] Quelle ame sensible

    prête encore des ailes, que c’est à cette vivacité heureuse qui réveille l’ame, qu’on doit la foule des lecteurs ; que, comme le feu élémentaire, l’écrivain doit toujours être en action. Mais ce secret n’est que pour le petit nombre ; le plus grand travaille, sue, fait mille efforts, aspire à une perfection glaçante. Celui qui est né pour écrire, vif, étincelant, rapide, au dessus des régles, jette du même trait de plume & son idée & le plaisir dans l’ame du lecteur. Voilà Voltaire ; c’est un cerf qui parcourt le champ de la littérature ; & ses prétendus imitateurs, ses froids copistes, tels que La H** & autres auteurs congelés, sont des tortues rampantes.

  1. Que de platitudes imprimées contre cet im-