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L’AN DEUX MILLE

donnent la peine d’examiner chaque malade en particulier ; & la santé ne tarde point à refleurir sous leur œil attentif et prudent. Ces médecins sont au rang des citoyens les plus considérés. Et quel ouvrage plus beau, plus auguste, plus digne d’un être vertueux & sensible, que celui de renouer le fil délicat des jours de l’homme, de ces jours fragiles, passagers, mais dont un art conservateur accroit la force & augmente la durée ! — Et l’hôpital général, où est-il situé ? — Nous n’avons plus d’hôpital général, plus de Bicêtre[1], de maisons de force, ou plutôt de rage. Un corps

  1. Il y a à Bicêtre une salle qu’on nomme la salle de force ; c’est une image de l’enfer. Six cent malheureux, pressés les uns les autres, opprimés de leur misère, de leur infortune, de leur haleine mutuelle, de la vermine qui les ronge, de leur désespoir, & d’un ennui plus cruel encore, vivent dans la fermentation d’une rage étouffée. C’est le supplice de Mezence mille fois multiplié. Les magistrats sont sourds aux reclamations de ces infortunés. On en a vu qui ont commis des homicides sur les géoliers, les chirurgiens, ou les prêtres qui les visitoient, dans la seule vue de sortir de ce lieu d’horreur, & de reposer plus librement sur la roue de l’échaffaud. On a raison d’avancer que la mort seroit une moindre barbarie que celle que l’on exerce contre eux. Ô cruels magistrats, hommes de fer, hommes indignes de ce nom, vous outragez l’humanité plus qu’ils ne l’ont outragés eux-mêmes ! Jamais les brigands dans leur ferocité n’ont égalé la vôtre. Osez être plus inhumains, avec une justice moins lente : faites brûler vif ce troupeau malheureux ; vous vous épargnerez la peine d’étendre