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L’AN DEUX MILLE

la tête, tandis que dans les autres états celle-ci a presque toujours été plongée dans l’ombre.

La sottise & le pédantisme sont bannis de ce college, où les étrangers sont appellés pour faciliter la prononciation des langues qu’on y enseigne. On y traduit les meilleurs auteurs. De cette correspondance mutuelle jaillit une masse de lumieres. Un autre avantage s’y rencontre ; c’est que le commerce de la pensée s’étendant d’avantage, les haines nationales s’éteignent insensiblement. Les peuples ont vu que quelques coutumes particulieres ne détruisoient pas cette raison universelle qui parle d’un bout du monde à l’autre, & qu’ils pensoient à-peu-près la même chose sur les mêmes objets qui avoient allumé des disputes si longues et si vives. — Mais que fait l’université, cette fille aînée des Rois ? — C’est une princesse délaissée. Cette vieille fille, après avoir reçu les derniers soupirs d’une langue fastidieuse, dénaturée, vouloit encore la faire passer pour neuve, fraîche et ravissante. Elle voloit des périodes, estropioit des hémistiches, & dans un jargon barbare & maussade prétendoit ressusciter la langue du siecle d’Auguste. Enfin l’on s’apperçut qu’elle n’avoit plus qu’un filet de voix aigre & discordant, & qu’elle faisait bâiller la cour, la ville & surtout ses disciples. Il lui fut ordonné par arrêt de l’académie françoise de comparoître devant