Aller au contenu

Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien, sa constitution était d’une délicatesse extrême. Le climat de la Louisiane était trop chaud pour elle ; elle ressemblait à une de ces plantes frêles et diaphanes qui croissent dans l’ombre des vallons du Nord, et qu’un rayon de soleil accable. Aussi, Chant-d’Oisel ne la faisait-elle jamais sortir dans le milieu du jour, excepté en hiver.

Blanchette aimait tout son monde ; mais pour elle Chant-d’Oisel était une personne à part : c’était sa nénaine, sa protectrice naturelle, sa providence ; à cette nénaine elle devait une plus grande part d’amour, de respect, d’obéissance.

Un instinct mystérieux disait à Blanchette que parmi tous les hommes de la maison, Pélasge était celui qu’il fallait aimer le plus : il était l’ami de nénaine, et d’ailleurs n’était-ce pas lui qui prenait la peine d’instruire la petite Blanchetet ? Il était si bon pour elle, lui ; jamais il ne la grondait, il jouait avec elle, il lui rapportait toujours de si jolies choses chaque fois qu’il faisait un voyage à la Nouvelle-Orléans !

Il y avait une troisième personne pour qui Blanchette avait une préférence marquée ; c’était Lagniape. Sans se rendre compte de l’infirmité de la vieille, elle voyait bien qu’il y avait chez elle une chose qui en faisait un être incomplet, voué à la souffrance et à la tristesse. Elle avait compassion d’elle, et la défendait quand les enfants la taquinaient. De son côté, Lagniape raffolait de Blanchette ; elle ne trouvait pas d’expressions assez tendres pour faire comprendre à l’enfant combien elle l’aimait. Elle en était fière, elle l’appelait sa petite princesse, son diamant ; en la voyant si blanche, si rosée, si jolie, si intelligente et si aimable, elle rêvait pour elle un avenir splendide, une destinée comme on n’en voit que dans les Mille et une Nuits. Ces songes dorés de son imagination n’étaient pas des songes pour elle ; elle les prenait très au sérieux, elle les considérait comme de saines et légitimes espérances. La poésie des grandeurs avait toujours fasciné Lagniape ; c’était son côté faible. Elle voyait déjà Blanchette à vingt ans, brillant comme un astre dans la société des blancs,