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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/177

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vivrait-on pas avec lui libre ? Il n’est pas méchant, on l’a bien vu pendant la guerre ; il pouvait, avec impunité, faire un mal énorme à ses anciens maîtres ; non seulement il ne l’a point fait spontanément, mais il n’a pas écouté les mauvais conseillers qui l’y poussaient.

« Pour moi la race noire est de beaucoup supérieure à la race rouge du territoire occupé aujourd’hui par les États-Unis. Elle est douce et civilisable, elle s’habitue facilement au travail, elle montre un grand désir d’apprendre ; elle est affectueuse et compatissante. Mais j’oublie que vous êtes créole ; vous savez mieux que moi tout ce qu’il y a de bon dans la race à laquelle appartient Mamrie. Quant aux gens de couleur, ce n’est pas vous qui les proscririez. Au fond, la plupart des Louisianais sentent et pensent comme vous et moi ; mais ils n’ont pas le courage de le dire : tels de nos vaillants jeunes hommes ont affronté, pendant quatre ans, la mort sur les champs de bataille, qui sont saisis d’une peur superstitieuse devant les fantômes de l’ignorance et de l’orgueil. »

L’entretien de Pélasge et de Démon se prolongea bien avant dans la nuit. Enfin, ils se séparèrent ; Pélasge se rendit à la ferme, Démon alla prendre possession du lit de Vieumaite.

Comme les pythagoriciens, Démon avait l’habitude, avant de se coucher, de récapituler mentalement les faits du jour écoulé, et d’écrire brièvement les réflexions qui lui étaient venues à leur suite. C’est ce qu’il fit, en s’asseyant à cette grande table éclairée par la même lampe qui avait tant de fois servi aux veillées laborieuses de son grand-père.

« Ainsi, dit-il en finissant, cette maison est tout ce qui reste de notre brillante fortune, et je suis le dernier des Saint-Ybars. »

Comme il s’étendait sur ce lit où Vieumaite reposait jadis, ses souvenirs d’enfance lui revinrent en foule. Qui lui eût dit, le jour de son départ de l’habitation, qu’à son retour il ne retrouverait que sa mère ! Ses réflexions l’empêchaient de s’endormir ; heureusement, la jolie et souriante