Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Ceci m’ouvre toute une perspective, répondit Pélasge ; je commence à apercevoir, entre maîtres et esclaves, des liens d’affection que je ne soupçonnais pas. »

On ne connaît bien un état social qu’autant qu’on le voit de ses propres yeux, et sous toutes ses faces. Pélasge ne pouvait, dans aucun cas, approuver l’esclavage ; mais, en vivant en Louisiane, il devait s’initier aux causes qui peuvent, sous le toit de maîtres intelligents et bons, atténuer une institution basée sur la violation du droit humain. Il fut interrompu dans ses réflexions, par l’entrée d’un Monsieur qui de prime abord produisit sur lui une impression peu favorable. Le nouveau venu était un homme d’une trentaine d’années, aux formes rondes et dodues, au visage fleuri et orné de favoris en côtelettes, aux cheveux rouges, partagés par le milieu comme ceux d’une femme. Tenant d’une main son chapeau, de l’autre un gros bouquet, il fit cinq ou six saluts exagérés, en disant :

« Mesdames et Messieurs, votre serviteur très humble, héhé… Mademoiselle Pulchérie me fera-t-elle l’honneur d’accepter ce bouquet ?

« Les magnifiques fleurs ! s’écria Mademoiselle Pulchérie ; vous êtes vraiment trop aimable : oh ! c’est charmant. »

Et Mademoiselle Pulchérie sourit ; si toutefois l’on peut donner le nom de sourire au disgracieux écartement qui s’opéra entre les extrémités opposées de sa large bouche. Elle se fit apporter un pot en argent qu’elle plaça devant elle, y mit le bouquet, et s’extasia sur le bon goût avec lequel il était composé.

Saint-Ybars se leva, et dit au nouveau venu en montrant Pélasge :

« Monsieur MacNara, permettez-moi de vous présenter Monsieur Antony Pélasge, votre remplaçant auprès de mon plus jeune fils.

« Ah ! Monsieur est mon successeur, dit MacNara en mettant ses besicles sur son nez et en s’approchant de Pélasge ; je suis enchanté de faire votre connaissance, Monsieur, enchanté, héhé. Je ne doute pas que vous ne tiriez meilleur parti que moi du terrain difficile ― ager jejunus ― qui vous