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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/54

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sa cabane, il répète sur son banza ce qu’il a entendu ; il mêle tout cela, dans sa tête, avec des motifs et des variations de sa façon. Quand il joue, il va, il va ! il est comme un homme en rêve qui ne se lasse pas d’écouter un concert. »

Pélasge, surpris et charmé du parler de Démon, lui dit en le frappant amicalement à l’épaule :

« Mon petit ami, ce que vous savez vous le savez bien, et vous l’expliquez parfaitement. Je suis sûr que vous ferez des progrès avec moi. »

Ils approchèrent. Le vieux nègre, les yeux levés vers les astres, tandis que ses doigts souples encore malgré son grand âge voltigeaient sur les cordes de son banza, était plongé dans les béatitudes de son extase musicale.

« Il ne nous voit pas, dit Pélasge, ne le dérangeons pas. Une autre fois, à la lumière du jour, nous reviendrons : nous le ferons parler, vous me servirez d’interprète. »

Ils reprirent, tout en causant, le chemin de la maison. En repassant dans le camp, Pélasge remarqua plusieurs nègres qui nettoyaient des fusils et des pistolets. Comme il paraissait surpris de voir des armes à feu aux mains des esclaves, Démon lui expliqua qu’ils les avaient empruntées à leurs maîtres.

« Au petit jour, ajouta-t-il, ils commenceront à tirer pour fêter notre anniversaire à Chant-d’Oisel et à moi. Vous serez réveillé par un beau vacarme, allez. »

La journée avait été bien remplie par Pélasge ; il avait beaucoup vu, beaucoup entendu et beaucoup appris en quelques heures. Retiré dans sa chambre et se trouvant seul, il médita à son aise sur les personnes et les choses qui avaient le plus particulièrement fixé son attention.

« Bref, dit-il en se disposant au sommeil, me voici entré dans un nouveau sillon. Pour combien de temps suis-je ici ? six ans ? dix ? quinze ? Sotte et vaine question ! l’avenir garde ses secrets, et c’est folie que de vouloir mettre le temps en coupe réglée. La vie est semblable à un voyage d’exploration, où chaque étape commencée est un pas vers l’inconnu. Allons, doux sommeil, mon meilleur ami, viens :